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La jurisprudence en matière de propriété intellectuelle

 

 

 La jurisprudence en matière de propriété intellectuelle

 

 

 

Yves Charpenel

 Premier avocat général à la Cour de cassation

 

 

 

 

 

 

La Cour de cassation est, dans l ’ordre judiciaire français, la juridiction la plus élevée.

 

Outre le fait qu’elle se situe au sommet de la pyramide, la Cour a, par rapport aux autres juridictions, une spécificité qui tient essentiellement dans les deux caractères suivants.

 

D ’abord, elle est unique : "Il y a, pour toute la République, une Cour de cassation".

 

Si ce principe fondamental est énoncé en tête des textes du code de l’organisation judiciaire qui traitent de la Cour de cassation, c’est aussi parce qu’il est le plus important : il est indissociable de la finalité essentielle de cette Cour, qui est d’unifier la jurisprudence, de faire en sorte que l’interprétation des textes soit la même sur tout le territoire.

 


C’est l’unicité de la juridiction qui permet l’uniformité de l’interprétation, et donc l’élaboration d’une jurisprudence appelée à faire autorité.

 

En second lieu, la Cour de cassation ne constitue pas, après les tribunaux et les cours d’appel, un troisième degré de juridiction.

 

 Elle est appelée, pour l’essentiel, non à trancher le fond, mais à dire si, en fonction des faits qui ont été souverainement appréciés dans les décisions qui lui sont déférées, les règles de droit ont été correctement appliquées.

 

 

Elle est en somme le juge des décisions des juges :

 

son rôle est de dire s’ils ont fait une exacte application de la loi au regard des données de fait, déterminées par eux seuls, de l’affaire qui leur était soumise et des questions qui leur étaient posées.

 

 

Ainsi chaque recours a-t-il pour objet d’attaquer une décision de justice, à propos de laquelle la Cour de cassation doit dire, soit qu’il a été fait une bonne application des règles de droit, soit que l’application en était erronée.

 

 

Cette autorité, non seulement juridique mais aussi morale, a d’ailleurs conduit le législateur à confier à la Cour d’autres missions, sous diverses formes.

 

On peut, par exemple, citer l’instauration d’une procédure d’avis qui, sous certaines conditions, lui permet d’exercer sa mission unificatrice en interprétant la loi non plus a posteriori, mais par avance, avant même que les juges du fond aient statué.

 

Le contentieux de la propriété intellectuelle est naturellement par son importance économique au coeur de la jurisprudence de la Cour de cassation.

 

le Comité National Anti Contrefaçon (CNAC) a ainsi évalué le manque à gagner pour la France chaque année à plus de 6 milliards d’euros

 

Selon l’OCDE, le commerce international de la contrefaçon pourrait avoir représenté au minimum la valeur de 250 milliards de dollars en 2007.

Les saisies douanières dans l’Union européenne dépassent 100 millions d’articles contrefaisants par an depuis 2004.

 

En France, les douaniers saisissent chaque année près de 9 millions d’articles de contrefaçon en 2011 dont environ 30% de produits sont potentiellement dangereux pour la santé et la sécurité des consommateurs.

 

Malgré la multiplication des lois internationales  et nationales sur ce thème, le juge garde un pouvoir important d’appréciation pour exercer pleinement sa mission de sécurisation et d’unification de l’application de la loi.

 

Sa complexité et sa diversité a conduit la Cour suprême à répartir les dossiers dans 3 de ses 6 chambres :

 

ainsi la 1ère chambre qui dispose  de 28 conseillers et 8 avocats généraux connaît de tout ce qui a rapport à la propriété littéraire et artistique,

 

la chambre commerciale avec ses 28 conseillers et de ses 6 avocats généraux a compétence pour contentieux de la propriété industrielle  ,

 

et la chambre criminelle avec ses 38 conseillers et ses 15 avocats généraux  traite du  délit de contrefaçon.

 

Cette répartition répond également à la caractéristique du droit français de la propriété intellectuelle qui est le choix laissé au plaignant  de choisir la voie pénale ou la voie civile     

 

La voie civile est plus généralement suivie en matière d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle liés aux brevets alors que le pénal est régulièrement choisi pour les atteintes aux marques et notamment pour les cas de téléchargements  illégaux.

 

Si les praticiens spécialisés peuvent tirer parti de la complémentarité des deux voies

en fonctions des cas d’espèce, le juge saisi est souvent confronté à la complexe imbrication de procédures et de normes qui caractérise ce contentieux .

 

C’est dire si la mission de la Cour de cassation est essentielle pour servir de boussole dans cet univers diffus où à la technicité des procédures s’ajoute la rapidité de la diffusion des contrefaçons  et l’ampleur des préjudices causés.

 

 

 

Quatre exemples de régulation peuvent illustrer l’impact et la variété de cette jurisprudence :

 

en matière de propriété littéraire et artistique

la première chambre civile a rendu le 17 mars 2016 une décision (Sony Mobile Communication) un arrêt appliquant l’article L311-1 du code de la propriété intellectuelle ainsi que la directive européenne du 22 mai 2001 en rappelant que les titulaires d’une droit exclusif de reproduction doivent recevoir une compensation équitable correspondant à leur préjudice  lié à l’exception de copie privée , selon une évaluation qui revient au juge judiciaire

 

en matière de marque industrielle  

l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 21 juin 2016 a cassé un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en rappelant les conditions dans lesquelles  le juge doit apprécier le risque de confusion entre deux marques similaires au sens de l’article L713-3 du code de la propriété intellectuelle

la cour suprême a estimé qu’il y avait risque de confusion lorsque le signe contesté est constitué au moyen de la juxtaposition de la dénomination de l’entreprise du tiers et d’une désignation dotée d’un pouvoir distinctif normal

elle a ainsi estimé que la confusion devait s’apprécier plus largement sans la limiter aux seuls cas où la marque antérieure dominait dans le signe la marque nouvelle.

 

en matière de délit de contrefaçon  

par un arrêt du 22 janvier 2014 la chambre criminelle a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse qui avait déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige lié à la commercialisation par des sociétés britanniques sur différents sites internet accessibles en France , d’une oeuvre d’un auteur français , contrefaite en Autriche

 

la Cour a considéré , dans la lignée de l’arrêt  rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 3 octobre 2013 sur question préjudicielle, que l’accessibilité dans le ressort de la juridiction saisie d’un site internet commercialisant le CD argué de contrefaçon est de nature à justifier la compétence de cette juridiction comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué , conformément à l’article 5.3 du règlement européen du 22 décembre 2000.

 

 

Enfin la Cour de cassation exerce un contrôle de constitutionnalité des textes du code de la propriété intellectuelle:

 

dans un arrêt du  9 juillet 2015 la chambre commerciale a refusé de transmettre une QPC ( question prioritaire de constitutionnalité ) qui contestait les termes de l’articles  716-14 alinéa 2 du code de ma propriété intellectuelle lequel prévoit la possibilité d’indemniser par dommages et intérêts distincts d’une part le préjudice réellement subi du fait de la contrefaçon d’autre part une somme relative aux droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utilise le droit.

 

 

Les traits communs à ces diverses jurisprudences

 

tiennent d’abord à la prise en compte croissante de la mondialisation de l’économie et du droit de la propriété intellectuelle qui conduit le juge français à appliquer des normes internationales et européennes et à statuer sur un nombre de plus en plus important de demandes d’entraide juridique impliquant une compétence nouvelle sur des droits différents.

 

 A cette répartition des contentieux au sein de la Cour de cassation répond

 une spécialisation des juridictions de fond :

 

en matière civile depuis la loi du 2 janvier 1968, l’Etat français renvoie les affaires en matière de brevets d’invention uniquement devant des juridictions spécialisées.

le décret n°2009-1205 du 9 octobre 2009, entré en vigueur le 1er novembre 2009, stipule que les contentieux en matière de brevets d’invention sont désormais de la compétence exclusive du tribunal de grande instance (TGI) et de la cour d’appel (CA) de Paris. (article D631-2 CPI).

Pour les autres droits de propriété intellectuelle (marques, dessins & modèles, droit d’auteur), dix juridictions sont compétentes, à savoir le TGI de Bordeaux, Lille (CA de Douai en appel), Lyon, Marseille (CA d’Aix en Provence en appel), Nancy, Nanterre (CA de Versailles en appel), Paris, Rennes et Fort-de-France.

 

En matière pénale la spécialisation est prévue dans le cas des réseaux de contrefaçon relevant de la criminalité organisée par application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité 

 

les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière dans des affaires présentant une grande complexité.

la contrefaçon de marques en bande organisée qui cible l’action des groupes criminels transnationaux est ainsi explicitement visée .

La loi a donné une compétence territoriale étendue, interrégionale, à 8 juridictions implantées, eu égard à l'importance des contentieux traités et aux aspects liés à la coopération transnationale, à Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort de France.

Spécialisés dans ces matières techniques, les magistrats sont déchargés des dossiers plus simples et bénéficient du soutien d'assistants spécialisés (douane, impôts…) Les JIRS bénéficient de dispositifs novateurs en matière d'enquête (infiltrations, sonorisations, équipes communes d'enquête entre plusieurs pays).

 

les perspectives

 

le survol de la jurisprudence de la Cour de cassation montre l’importance de son rôle dans la prise en compte des normes internationales où elle veille à assurer len respect par les juges du fond de ces normes supranationales

 

l’actualité  en la matière peut être aujourd’hui illustrée  par trois exemples touchant à la propriété intellectuelle dont la Cour de cassation ne va pas manquer d’être  saisie:

 

la mise en oeuvre du “paquet marques” résultant de deux directives européennes de 2012 et 2013 prévoyant la création d’un brevet européen unifié.

 

 

La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme et son financement met en exergue l’utilisation de la contrefaçon par la plupart des groupes terroristes ,son application  ne manquera pas de créer un contentieux spécifique sous le contrôle de la Cour de cassation.

 

Enfin le projet de loi sur la République numérique actuellement débattu au Parlement sera l’occasion, une fois adopté, de renouveler les  contentieux relatifs aux responsabilités des différents acteurs et utilisateurs de l’Internet devenu le champ privilégié des atteintes  les plus graves à la propriété intellectuelle.

 

C’est dire si l’avenir de la jurisprudence en matière de propriété intellectuelle s’annonce  abondant et stratégique,

 

A coup sûr il conviendra pour en suivre utilement les leçons d’appliquer la formule fameuse de Deng Xiaoping :

 

Nous traversons la rivière en nous appuyant sur les pierres, à tâtons.”

 


 

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