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La loi applicable dans les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 : le cas de la Chine

La loi applicable dans les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 : le cas de la Chine

Isidoro Antonio Calvo Vidal [1]

Conseiller général de l’Union Internationale du Notariat

Délégué du Conseil Général des Notaires Espagnols pour les affaires de l’Union européenne

Notaire en Espagne, Docteur en droit

1. Présentation

Le règlement (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, et le règlement (UE) 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, ont marqué une nouvelle étape dans la consolidation de l’Europe des citoyens.

Le droit de la famille, dans ce domaine spécifique, a pour mission principale de réglementer les relations économiques entre les époux ou entre les membres d’un partenariat enregistré, tant entre eux qu’à l’égard des tiers, aussi bien durant la vie du couple qu’au moment de la liquidation de ses biens.

Par conséquent, les différents systèmes juridiques ont adapté la réglementation des effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés aux besoins spécifiques de chaque communauté et de chaque moment historique.

L’une des principales difficultés que posaient ces questions au sein de l’Union européenne en présence d’un élément d’extranéité, ne résidait pas tant dans la diversité des droits matériels que dans la disparité des critères de détermination du droit applicable.

Prenons, par exemple, le cas d’un mariage entre deux ressortissants de la République populaire de Chine, contracté avant le 29 janvier 2019, date d’entrée en application pleine du règlement (UE) 2016/1103, dont la première résidence habituelle commune était située en Belgique et qui possédaient, en outre, des biens immobiliers en Espagne.

En Belgique, la loi applicable à leur régime matrimonial aurait été la loi belge, conformément au premier critère de rattachement prévu à l’article 51 du Code de droit international privé.

En revanche, si la détermination de la loi applicable au régime matrimonial avait été effectuée par une autorité espagnole, celle-ci aurait appliqué la loi de la nationalité des époux, conformément au premier critère de rattachement prévu à l’article 9.2 du Code civil.

L’insécurité juridique résultant de cette situation, également présente dans le cadre des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, ne concernait pas seulement les époux ou les partenaires, mais également les tiers avec lesquels ils pouvaient être en relation dans le cadre de transactions juridiques.

Il apparaît ainsi clairement que le renforcement de la sécurité juridique et de la prévisibilité dans le traitement des effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés a constitué l’objectif principal des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104.

Avant d’examiner certaines questions spécifiques et, notamment, leur application en présence d’un élément d’extranéité en lien avec la République populaire de Chine, il convient tout d’abord de souligner que seules les autorités des États membres de l’Union européenne qui ont participé à la coopération renforcée en vue de leur adoption sont liées par l’application immédiate des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, à savoir : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Slovénie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, République tchèque et Suède.

Ainsi, au sein de l’Union européenne, le Danemark, la Slovaquie, l’Estonie, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ne sont pas concernés, et en dehors de l’Union tous les autres États. Dans chacun d’eux, les questions internationales relatives aux effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés continueront d’être réglées selon les normes de leurs systèmes respectifs de droit international privé.

S’agissant de la République populaire de Chine, la réglementation contraignante pour ses autorités est celle énoncée au chapitre III (articles 21 à 30), en particulier l’article 24, de la Loi de la République populaire de Chine sur la détermination de la loi applicable aux relations civiles avec l’étranger.

Selon cette disposition, les époux peuvent convenir d'appliquer aux effets patrimoniaux du mariage la loi de la résidence habituelle de l’un d’eux, la loi de l'État de leur nationalité ou la loi du lieu de situation du bien principal.

À défaut de choix, la loi du lieu de la résidence habituelle commune s'applique ; en l'absence de résidence habituelle commune, la loi de l'État de nationalité commune s'applique.

En droit matériel, selon l'article 1065 du Code civil de la République populaire de Chine, à défaut de convention entre les époux, le régime matrimonial applicable est celui de la communauté légale des biens. Toutefois, les époux peuvent convenir que les biens acquis pendant le mariage, ainsi que les biens antérieurs au mariage, appartiendront à chacun d'eux individuellement, conjointement ou en partie individuellement et en partie conjointement.

Dès lors, il convient de prendre connaissance des principales dispositions des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, même s’il s’agit d’autorités d’États tiers, comme la République populaire de Chine, car les règlements s’attribuent un caractère universel en matière de loi applicable. Cela signifie donc que la loi désignée en vertu de ceux-ci s’appliquera même si cette loi n’est pas celle d’un État membre.

Autrement dit, la résolution des questions relatives aux effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés par les autorités des États membres peut entraîner l’application du droit matériel de la République populaire de Chine. Parallèlement, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 prévoient des mécanismes permettant aux ressortissants de la République populaire de Chine de maintenir, même en dehors des frontières de leur pays, l’application de leur droit matériel.

En matière de loi applicable, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 ont prévu deux mesures inspirées principalement du principe d’harmonisation.

La première mesure, motivée par des impératifs de sécurité juridique et de prévention de toute fragmentation, prévoit qu’une seule loi régira les effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés, sans distinction quant à la nature des biens ou à leur localisation.

Dans le même temps, les règlements veillent à ce que la loi désignée régisse la plupart des aspects liés à la matière concernée ; c’est-à-dire, depuis la classification des biens en différentes catégories pendant le mariage ou le partenariat enregistrée et après leur dissolution, jusqu’à la liquidation du patrimoine, y compris les effets sur les relations juridiques avec les tiers.

La possibilité que d’autres lois puissent également s’appliquer dans certaines circonstances ne constitue qu’une exception au principe d’unité de la loi applicable, qui demeure le fondement des règlements.

En deuxième lieu, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, au-delà de l’établissement d’un critère général ou subsidiaire pour la détermination de la loi applicable, fondé principalement sur la résidence habituelle, reconnaissent également une certaine marge d’action à l’autonomie de la volonté.

2. Champ d’application des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104

Le premier critère déterminant le champ d’application des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 est l’existence d’un élément international ou transfrontalier dans la situation juridique examinée.

Ces règlements s’appliquent aux affaires présentant des implications transfrontalières, comme le précisent expressément leurs considérants.

Une situation ayant des répercussions transfrontalières se présente lorsqu’une question se pose, dans les domaines définis par les règlements, quant à l’application éventuelle des législations de deux ou plusieurs États.

Sur cette base, de nombreuses situations peuvent être concernées. Celles-ci peuvent être liées aux personnes des époux ou des membres d’un partenariat enregistré, en fonction de leur nationalité, de leur résidence habituelle, de leur domicile ou de toute autre circonstance pertinente, ainsi qu’aux éléments composant leur patrimoine en raison de leur répartition géographique.

Dans le temps, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 s’appliquent aux époux ayant contracté mariage ou ayant désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, ainsi qu’aux membres d’un partenariat enregistré ayant enregistré leur partenariat ou qui ont désigné la loi applicable aux effets patrimoniaux de leur partenariat enregistré, à compter du 29 janvier 2019.

Les situations ne relevant pas du champ d’application temporel de ces règlements demeurent régies par les règles internes de droit international privé.

D’un point de vue matériel, les règlements s’appliquent à tous les aspects de droit civil de nature patrimoniale ou, si l’on préfère, à contenu économique, qui découlent du mariage et des partenariats enregistrés.

Le règlement (UE) 2016/1104, dans son propre cadre, établit également une définition du partenariat enregistré comme un mode de vie commun de deux personnes prévu par la loi, dont l’enregistrement est obligatoire en vertu de ladite loi et qui répond aux exigences juridiques prévues par ladite loi pour sa création.

3. La loi applicable dans les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104

3.1. La convention de choix du droit chinois comme loi applicable

Selon l’article 22 du règlement (UE) 2016/1103, la loi chinoise sera applicable au régime matrimonial si les époux ou futurs époux en font le choix, à condition que l’un d’eux, ou les deux, aient leur résidence habituelle en République populaire de Chine ou possèdent la nationalité chinoise au moment de la conclusion de l’accord de choix.

S’agissant du règlement (UE) 2016/1104, le choix de la loi chinoise est également possible lorsque celle-ci a régi la création du partenariat enregistré.

De manière générale, la convention de choix de la loi doit être formulée par écrit, datée et signée par les deux époux ou partenaires ; toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite.

Toutefois, si la loi de l’État membre où l’un des signataires a sa résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention prévoit des règles formelles supplémentaires pour les conventions matrimoniales ou partenariales, ces règles s’appliquent.

En outre, dans le cas visé par le présent article, les règles formelles établies par la loi chinoise pour les conventions matrimoniales devront également être respectées, celle-ci étant la loi applicable ; l’article 1065 du Code civil de la République populaire de Chine impose uniquement une forme écrite pour les conventions matrimoniales.

En application des articles 24 des règlements, l’existence et la validité d’une convention sur le choix de la loi ou de toute clause de celle-ci sont soumises à la loi chinoise.

La validité matérielle des conventions matrimoniales, y compris leur admissibilité ainsi que la possibilité d’en intégrer le contenu, sera également soumise à la loi chinoise, en vertu des articles 27, point g), des règlements.

Ainsi, la loi chinoise régira également, en tant que loi applicable à la validité matérielle des conventions matrimoniales, des aspects tels que l’admissibilité de la représentation lors de leur conclusion, leur interprétation, ainsi que les cas de fraude, de contrainte, d’erreur ou tout autre vice du consentement des parties.

S’agissant de la capacité à conclure des conventions matrimoniales, les règlements excluent de leur champ d’application la capacité juridique des époux et des partenaires. En conséquence, cette question doit être tranchée conformément aux règles de droit de chaque État membre.

L’article 21 de la Loi de la République populaire de Chine sur la détermination de la loi applicable aux relations civiles avec l’étranger dispose que la loi régissant les conditions du mariage, notablement comme la capacité et le consentement, est celle du lieu de résidence habituelle commune des époux. À défaut de résidence habituelle commune, la loi de leur nationalité commune s’applique. En l’absence de nationalité commune, la loi du lieu de célébration du mariage sera déterminante.

3.2. L’application du droit chinois en l’absence d’un accord de choix de loi

À défaut de convention sur le choix de la loi applicable, et conformément à l’article 26 du règlement (UE) 2016/1103, le régime matrimonial sera régi par le droit chinois si la République populaire de Chine est l’État de la première résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage

Parmi les différentes résidences habituelles communes que les époux pourraient avoir, seule la première d’entre elles est pertinente à ces fins. Le considérant 49 définit cette première résidence comme celle qui suit immédiatement la célébration du mariage.

Cette exigence vise à assurer que la loi applicable au régime matrimonial soit déterminée dès l’origine.

À défaut résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage, la loi chinoise s’appliquera également si, au moment de la célébration du mariage, les deux époux possèdent la nationalité chinoise.

Et même si aucun des critères précédents ne désigne la loi chinoise comme applicable, et même si les époux ont plus d’une nationalité commune au moment de la célébration du mariage, la loi chinoise sera applicable si les époux ont ensemble avec la République populaire de Chine les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage, compte tenu de toutes les circonstances.

Ces circonstances peuvent inclure des facteurs d’ordre personnel, familial, professionnel, culturel ou religieux, ainsi que la localisation des biens, le lieu de célébration du mariage, etc.

Dans le même objectif, il sera également possible de prendre en considération d’autres points de connexion qui, bien qu’ils ne remplissent pas les conditions de l’article 26 et ne déterminent donc pas la loi applicable à titre principal, peuvent néanmoins constituer des indices d’un lien étroit avec un État. Tel est le cas, par exemple, de la résidence habituelle de chacun des époux, de leurs nationalités respectives ou encore de l’existence d’une ou plusieurs nationalités communes.

 

En dernier lieu, en vertu de l’article 26, la loi chinoise sera applicable, à titre d’exception et à la demande de l’un des époux ou des partenaires d’union enregistrée, si le demandeur démontre que ceux-ci ont eu, sur le territoire de la République populaire de Chine, leur dernière résidence habituelle commune pendant une période significativement longue —selon le règlement (UE) 2016/1103, une période significativement plus longue que dans l’État de leur première résidence habituelle commune après la célébration du mariage— et qu’ils s’étaient fondés sur la loi chinoise pour organiser ou planifier leurs rapports patrimoniaux.

3.3. Le changement de la loi applicable dans les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104

Contrairement au principe traditionnel d’immutabilité de la loi applicable, qui prévalait dans plusieurs systèmes juridiques des États membres, y compris le droit espagnol, et à la règle de l’automaticité du changement de loi applicable, telle qu’établie par la Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 disposent que toute modification de la loi applicable régime matrimonial et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés ne peut être introduite sans que les époux ou les partenaires en soient informés. Aucun changement de la loi applicable ne devrait intervenir sans demande expresse des parties. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique et à éviter toute modification involontaire ou imprévue du régime juridique régissant leurs relations patrimoniales.

Ainsi, conformément aux règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, les époux ou futurs époux, ainsi que les membres ou futurs membres d’un partenariat enregistré, peuvent, à tout moment, convenir de modifier la loi applicable à leur régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux de leur partenariat enregistré.

Toute modification de la loi applicable doit être effectuée dans le respect des lois pouvant être choisies et en conformité avec les exigences formelles ainsi que les conditions de validité matérielle applicables aux conventions de choix de la loi.

En principe, selon l’article 22, paragraphe 2, des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, le changement de la loi applicable effectué en cours de mariage ou de partenariat n’a d’effet que pour l’avenir.

Le changement de loi applicable entraîne une succession dans le temps des normes matérielles régissant le régime matrimonial et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.

La règle de l’efficacité ex nunc du changement de loi peut toutefois être écartée si les parties en conviennent ainsi, conformément à l’article 22, paragraphe 2. Toutefois, tout changement rétroactif de la loi applicable ne peut porter atteinte aux droits des tiers résultant de la loi précédemment applicable, conformément à l’article 22, paragraphe 3.

L’attribution d’un effet rétroactif au changement de loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux d’un partenariat enregistré, en particulier lorsque l’intervalle temporel couvert par la rétroactivité est relativement long, peut intervenir alors que des réformes ou modifications ont eu lieu entre-temps dans le nouvel ordre juridique choisi. Se pose alors la question de savoir si la nouvelle loi désignée doit s’appliquer dans la version en vigueur au moment de la conclusion de l’accord de choix de loi ou dans celle en vigueur à la date à laquelle le changement de loi applicable est rétroactivement rattaché.

Considérons le cas de deux ressortissants chinois, ayant tous deux leur résidence habituelle en Espagne, où ils contractent mariage en 2010 en adoptant d’un commun accord le régime de séparation de biens. En 2022, les époux transfèrent leur résidence habituelle aux Pays-Bas où, convaincus des avantages du régime de communauté prévu à titre supplétif par le Code civil néerlandais, ils décident, quelque temps plus tard, de modifier la loi applicable à leur régime matrimonial. De plus, ils entendent conférer à ce changement un effet rétroactif à la date même de la célébration de leur mariage.

Il s’agit d’un cas présentant des implications transfrontalières résultant du changement de résidence habituelle des époux, soumis au Règlement (UE) 2016/1103 conformément à la règle transitoire prévue à l’article 69, paragraphe 3. En conséquence, le droit néerlandais régira leur régime matrimonial depuis son origine, en 2010.

Il se trouve qu’à ce moment-là, le régime légal supplétif aux Pays-Bas est celui de la communauté universelle de biens, en vertu duquel, sous certaines exceptions, tous les biens et dettes des époux étaient mis en commun, quelle que soit la date et le titre de leur acquisition ou contraction. En revanche, au moment de l’accord sur le changement de la loi applicable, le régime légal supplétif aux Pays-Bas est un régime de communauté de biens limitée, qui concerne, de manière générale, les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage ainsi que les dettes y afférentes. Ce régime est en vigueur depuis le 1ᵉʳ janvier 2018 pour les mariages contractés à compter de cette date.

Cette réforme, introduite par la loi du 24 avril 2017 modifiant le Livre 1 du Code civil des Pays-Bas afin de limiter le champ d’application de la communauté légale de biens, ne prévoit aucun effet rétroactif. En conséquence, selon le principe de l’application des normes juridiques dans le temps, et sous réserve que le droit néerlandais soit applicable, les mariages célébrés avant le 1ᵉʳ janvier 2018, en l’absence de convention contraire, restent soumis au régime matrimonial de communauté universelle de biens.

Dans cette même logique, lorsqu’un cas tel que celui envisagé ici se présente et que les époux conviennent d’un changement rétroactif de la loi applicable à leur régime matrimonial, celle-ci s’applique conformément aux dispositions en vigueur à la date retenue pour la rétroactivité, et non à celle de la conclusion de l’accord du changement de la loi applicable.

À défaut, la rétroactivité de la loi applicable au régime matrimonial dépendrait exclusivement de la volonté des époux et non d’une disposition législative, ce qui pourrait engendrer des situations atypiques au regard de l’ordre juridique en vigueur. Une telle situation serait contraire aux principes de prévisibilité et de sécurité juridique qui constituent des fondements essentiels en la matière.

En tout état de cause, quelle que soit l’étendue des effets rétroactifs du changement de loi, la protection des droits des tiers résultant de la loi précédemment applicable déterminera, du moins en ce qui les concerne, la pérennité de ce régime juridique dans le temps.

Les parties pourraient également convenir de maintenir la succession temporelle des lois applicables, bien qu’avec une portée temporelle distincte, en fixant la rétroactivité de ses effets à une date plus proche dans le temps.

Quoi qu’il en soit, la date du changement de loi avec effet rétroactif constituera le point de référence pour procéder, le cas échéant et entre autres aspects, à la classification des biens de l’un ou des deux époux ou partenaires en différentes catégories, à la détermination de la responsabilité de chacun d’eux quant aux obligations et dettes de l’autre, ainsi qu’à la définition des pouvoirs, droits et obligations de l’un ou des deux époux ou partenaires à l’égard du patrimoine.

4. Les lois de police dans les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104

Conformément à l’article 30 des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, leurs dispositions ne portent pas atteinte à l’application des lois de police du juge saisi, lesquelles prévalent indépendamment de la loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux du partenariat enregistré.

Les lois de police sont définies comme des dispositions dont le respect est jugé crucial par un État membre pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans les champs d’application des règlements, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux d’un partenariat enregistré.

Le concept de lois de police englobe les règles de nature impérative, telles que celles relatives à la protection du logement familial. En tant qu’exception au principe d’unité de la loi applicable, ce concept doit être interprété de manière stricte afin de rester conforme aux objectifs généraux des règlements européens applicables. Ces objectifs incluent notamment la libre circulation des personnes au sein de l’Union, la possibilité pour les époux et les partenaires d’une union enregistrée d’organiser leurs relations patrimoniales, tant entre eux que vis-à-vis des tiers, durant leur vie commune ainsi qu’au moment de la liquidation de leur patrimoine. Ces règlements visent également à renforcer la prévisibilité et la sécurité juridique en la matière.

La référence aux normes de protection du logement familial, telles que celles établies en droit civil commun espagnol par l’article 1320 du Code civil, permet de considérer parmi les lois de police de chaque ordre juridique les règles impératives du régime primaire. Ce régime regroupe l’ensemble des normes que les droits nationaux établissent, de manière générale, pour la réglementation des effets patrimoniaux du mariage et des partenariats enregistrés.

Le champ d’application restreint des lois de police, tel que défini par les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, permet de garantir l’application de la loi désignée par les règles de conflit de lois, dès lors que cette loi assure une protection équivalente des intérêts publics à celle de la loi du for, et ainsi de préserver l’unité de la loi applicable.

5. La clause d’ordre public

Au-delà de l’autonomie de la volonté en matière de conflits de lois, des critères objectifs de rattachement destinés à la détermination de la loi applicable et des dispositions spéciales visant à la protection de certains intérêts, le législateur européen, dans les règlements relatifs aux questions de droit international privé, utilise également, bien qu’à des degrés variables, certains mécanismes et techniques visant à orienter les résultats auxquels ces règlements pourraient aboutir, tels que les clauses de renvoi et l’exception d’ordre public.

Les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, à l’article 32, sous la rubrique « Exclusion du renvoi », disposent que lorsque les règlements prescrivent l’application de la loi d’un État, il entend les règles de droit en vigueur dans cet État, à l’exclusion de ses règles de droit international privé.

Quant à l’exception d’ordre public, elle constitue l’un des principaux mécanismes permettant d’assurer la sauvegarde des principes et valeurs fondamentaux qui sous-tendent un ordre juridique déterminé.

L’ordre public constitue un ensemble de valeurs fondamentales qui inspirent un ordre juridique donné et remplissent une fonction d’exclusion : il empêche qu’une norme étrangère contraire puisse produire des effets juridiques et s’intégrer dans cet ordre.

Il convient de considérer que certains ordres juridiques, dans le champ d’application des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, contiennent des dispositions manifestement contraires aux valeurs constitutionnelles impératives des ordres juridiques des États membres de l’Union européenne, en prévoyant un traitement différencié, voire une exclusion totale, de la participation de certains de leurs membres à l’administration et au partage du patrimoine commun en fonction du sexe.

Face à de telles dispositions, l’action des autorités européennes, guidée en toute circonstance par la défense rigoureuse des valeurs et principes fondamentaux de notre ordre juridique – parmi lesquels figurent, en lien avec les cas mentionnés, l’élimination de toute forme de discrimination fondée sur le sexe –, devra consister à en exclure l’application.

Ainsi, en l’absence d’une disposition explicite en ce sens, la question soulevée devra être résolue conformément aux normes les plus appropriées de la législation étrangère désignée comme applicable, en écartant uniquement les dispositions incompatibles avec notre système de valeurs. Si une telle mise en conformité s’avérait impossible, il conviendrait de statuer sur la base du droit interne, dans la mesure où, en cette matière, la conception du législateur national doit, en tout état de cause, prévaloir.

6. Conclusion

Les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 constituent une avancée fondamentale dans la création d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice. Toutefois, la mobilité croissante des citoyens rend également opportun que tant les ressortissants que les autorités des États tiers prennent conscience de l’incidence de ces règlements lorsqu’il s’agit d’aborder les questions relatives aux effets patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés.

Dans ce contexte, cet article a été rédigé spécialement pour ceux qui, en République populaire de Chine, souhaitent mieux comprendre le cadre réglementaire de ces questions au sein de l’Union européenne et en offrir une première approche. Toutefois, en raison de la complexité du sujet, il convient d’avertir que nouvelles lectures et études complémentaires seront nécessaires, et peut-être l’occasion de nous retrouver à nouveau.

 



[1] Auteur de Ley aplicable a los efectos patrimoniales de matrimonios y uniones registradas y a las sucesiones en la UE. La Ley Soluciones Legales, S.A. Madrid, 2023.



 

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