La loi applicable dans les règlements (UE)
2016/1103 et 2016/1104 : le cas de la Chine
Isidoro Antonio Calvo Vidal
Conseiller général de l’Union Internationale du Notariat
Délégué du Conseil Général des
Notaires Espagnols pour
les affaires de l’Union européenne
Notaire en Espagne, Docteur en
droit
1. Présentation
Le règlement
(UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération
renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la
reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes
matrimoniaux, et le règlement (UE) 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016,
mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de
la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en
matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, ont marqué une
nouvelle étape dans la consolidation de l’Europe des citoyens.
Le droit de la
famille, dans ce domaine spécifique, a pour mission principale de réglementer
les relations économiques entre les époux ou entre les membres d’un partenariat
enregistré, tant entre eux qu’à l’égard des tiers, aussi bien durant la vie du
couple qu’au moment de la liquidation de ses biens.
Par conséquent,
les différents systèmes juridiques ont adapté la réglementation des effets
patrimoniaux des mariages et des partenariats enregistrés aux besoins
spécifiques de chaque communauté et de chaque moment historique.
L’une des
principales difficultés que posaient ces questions au sein de l’Union
européenne en présence d’un élément d’extranéité, ne résidait pas tant dans la
diversité des droits matériels que dans la disparité des critères de
détermination du droit applicable.
Prenons, par
exemple, le cas d’un mariage entre deux ressortissants de la République
populaire de Chine, contracté avant le 29 janvier 2019, date d’entrée en
application pleine du règlement (UE) 2016/1103, dont la première résidence
habituelle commune était située en Belgique et qui possédaient, en outre, des
biens immobiliers en Espagne.
En Belgique, la
loi applicable à leur régime matrimonial aurait été la loi belge, conformément
au premier critère de rattachement prévu à l’article 51 du Code de droit
international privé.
En revanche, si
la détermination de la loi applicable au régime matrimonial avait été effectuée
par une autorité espagnole, celle-ci aurait appliqué la loi de la nationalité
des époux, conformément au premier critère de rattachement prévu à l’article
9.2 du Code civil.
L’insécurité
juridique résultant de cette situation, également présente dans le cadre des
effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, ne concernait pas seulement
les époux ou les partenaires, mais également les tiers avec lesquels ils
pouvaient être en relation dans le cadre de transactions juridiques.
Il apparaît
ainsi clairement que le renforcement de la sécurité juridique et de la
prévisibilité dans le traitement des effets patrimoniaux des mariages et des
partenariats enregistrés a constitué l’objectif principal des règlements (UE)
2016/1103 et 2016/1104.
Avant
d’examiner certaines questions spécifiques et, notamment, leur application en
présence d’un élément d’extranéité en lien avec la République populaire de
Chine, il convient tout d’abord de souligner que seules les autorités des États
membres de l’Union européenne qui ont participé à la coopération renforcée en
vue de leur adoption sont liées par l’application immédiate des règlements (UE)
2016/1103 et 2016/1104, à savoir : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie,
Chypre, Croatie, Slovénie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie,
Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, République tchèque et Suède.
Ainsi, au sein
de l’Union européenne, le Danemark, la Slovaquie, l’Estonie, la Hongrie,
l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie ne sont pas
concernés, et en dehors de l’Union tous les autres États. Dans chacun d’eux,
les questions internationales relatives aux effets patrimoniaux des mariages et
des partenariats enregistrés continueront d’être réglées selon les normes de
leurs systèmes respectifs de droit international privé.
S’agissant de
la République populaire de Chine, la réglementation contraignante pour ses
autorités est celle énoncée au chapitre III (articles 21 à 30), en particulier
l’article 24, de la Loi de la République populaire de Chine sur la
détermination de la loi applicable aux relations civiles avec l’étranger.
Selon cette
disposition, les époux peuvent convenir d'appliquer aux effets patrimoniaux du
mariage la loi de la résidence habituelle de l’un d’eux, la loi de l'État de
leur nationalité ou la loi du lieu de situation du bien principal.
À défaut de
choix, la loi du lieu de la résidence habituelle commune s'applique ; en
l'absence de résidence habituelle commune, la loi de l'État de nationalité
commune s'applique.
En droit
matériel, selon l'article 1065 du Code civil de la République populaire de
Chine, à défaut de convention entre les époux, le régime matrimonial applicable
est celui de la communauté légale des biens. Toutefois, les époux peuvent
convenir que les biens acquis pendant le mariage, ainsi que les biens
antérieurs au mariage, appartiendront à chacun d'eux individuellement,
conjointement ou en partie individuellement et en partie conjointement.
Dès lors, il
convient de prendre connaissance des principales dispositions des règlements
(UE) 2016/1103 et 2016/1104, même s’il s’agit d’autorités d’États tiers, comme
la République populaire de Chine, car les règlements s’attribuent un caractère
universel en matière de loi applicable. Cela signifie donc que la loi désignée
en vertu de ceux-ci s’appliquera même si cette loi n’est pas celle d’un État
membre.
Autrement dit,
la résolution des questions relatives aux effets patrimoniaux des mariages et
des partenariats enregistrés par les autorités des États membres peut entraîner
l’application du droit matériel de la République populaire de Chine.
Parallèlement, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 prévoient des
mécanismes permettant aux ressortissants de la République populaire de Chine de
maintenir, même en dehors des frontières de leur pays, l’application de leur
droit matériel.
En matière de
loi applicable, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 ont prévu deux
mesures inspirées principalement du principe d’harmonisation.
La première
mesure, motivée par des impératifs de sécurité juridique et de prévention de
toute fragmentation, prévoit qu’une seule loi régira les effets patrimoniaux
des mariages et des partenariats enregistrés, sans distinction quant à la
nature des biens ou à leur localisation.
Dans le même
temps, les règlements veillent à ce que la loi désignée régisse la plupart des
aspects liés à la matière concernée ; c’est-à-dire, depuis la classification
des biens en différentes catégories pendant le mariage ou le partenariat
enregistrée et après leur dissolution, jusqu’à la liquidation du patrimoine, y
compris les effets sur les relations juridiques avec les tiers.
La possibilité
que d’autres lois puissent également s’appliquer dans certaines circonstances
ne constitue qu’une exception au principe d’unité de la loi applicable, qui
demeure le fondement des règlements.
En deuxième
lieu, les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104, au-delà de l’établissement
d’un critère général ou subsidiaire pour la détermination de la loi applicable,
fondé principalement sur la résidence habituelle, reconnaissent également une
certaine marge d’action à l’autonomie de la volonté.
2. Champ d’application des
règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104
Le premier critère déterminant le champ
d’application des règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 est l’existence d’un
élément international ou transfrontalier dans la situation juridique examinée.
Ces règlements s’appliquent aux affaires
présentant des implications transfrontalières, comme le précisent expressément
leurs considérants.
Une situation ayant des répercussions
transfrontalières se présente lorsqu’une question se pose, dans les domaines
définis par les règlements, quant à l’application éventuelle des législations
de deux ou plusieurs États.
Sur cette base, de nombreuses situations
peuvent être concernées. Celles-ci peuvent être liées aux personnes des époux
ou des membres d’un partenariat enregistré, en fonction de leur nationalité, de
leur résidence habituelle, de leur domicile ou de toute autre circonstance
pertinente, ainsi qu’aux éléments composant leur patrimoine en raison de leur
répartition géographique.
Dans le temps, les règlements (UE)
2016/1103 et 2016/1104 s’appliquent aux époux ayant contracté mariage ou ayant
désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, ainsi qu’aux membres d’un
partenariat enregistré ayant enregistré leur partenariat ou qui ont désigné la
loi applicable aux effets patrimoniaux de leur partenariat enregistré, à
compter du 29 janvier 2019.
Les situations ne relevant pas du champ
d’application temporel de ces règlements demeurent régies par les règles
internes de droit international privé.
D’un point de vue matériel, les règlements
s’appliquent à tous les aspects de droit civil de nature patrimoniale ou, si
l’on préfère, à contenu économique, qui découlent du mariage et des
partenariats enregistrés.
Le règlement (UE) 2016/1104, dans son
propre cadre, établit également une définition du partenariat enregistré comme
un mode de vie commun de deux personnes prévu par la loi, dont
l’enregistrement est obligatoire en vertu de ladite loi et qui répond aux
exigences juridiques prévues par ladite loi pour sa création.
3. La loi applicable dans
les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104
3.1. La convention de choix du droit chinois comme
loi applicable
Selon l’article 22 du règlement (UE)
2016/1103, la loi chinoise sera applicable au régime matrimonial si les époux
ou futurs époux en font le choix, à condition que l’un d’eux, ou les deux,
aient leur résidence habituelle en République populaire de Chine ou possèdent
la nationalité chinoise au moment de la conclusion de l’accord de choix.
S’agissant du règlement (UE) 2016/1104, le
choix de la loi chinoise est également possible lorsque celle-ci a régi la
création du partenariat enregistré.
De manière générale, la convention de
choix de la loi doit être formulée par écrit, datée et signée par les deux
époux ou partenaires ; toute transmission par voie électronique qui permet
de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme
écrite.
Toutefois, si la loi de l’État membre où
l’un des signataires a sa résidence habituelle au moment de la conclusion de la
convention prévoit des règles formelles supplémentaires pour les conventions
matrimoniales ou partenariales, ces règles s’appliquent.
En outre, dans le cas visé par le présent
article, les règles formelles établies par la loi chinoise pour les conventions
matrimoniales devront également être respectées, celle-ci étant la loi
applicable ; l’article 1065 du Code civil de la République populaire de
Chine impose uniquement une forme écrite pour les conventions matrimoniales.
En application des articles 24 des
règlements, l’existence et la validité d’une convention sur le choix de la loi
ou de toute clause de celle-ci sont soumises à la loi chinoise.
La validité matérielle des conventions
matrimoniales, y compris leur admissibilité ainsi que la possibilité d’en
intégrer le contenu, sera également soumise à la loi chinoise, en vertu des
articles 27, point g), des règlements.
Ainsi, la loi
chinoise régira également, en tant que loi applicable à la validité matérielle
des conventions matrimoniales, des aspects tels que l’admissibilité de la
représentation lors de leur conclusion, leur interprétation, ainsi que les cas
de fraude, de contrainte, d’erreur ou tout autre vice du consentement des
parties.
S’agissant de la capacité à conclure des
conventions matrimoniales, les règlements excluent de leur champ d’application
la capacité juridique des époux et des partenaires. En conséquence, cette
question doit être tranchée conformément aux règles de droit de chaque État
membre.
L’article 21 de
la Loi de la République populaire de Chine sur la détermination de la loi
applicable aux relations civiles avec l’étranger dispose que la loi régissant les conditions du mariage, notablement comme la capacité et le
consentement, est celle du lieu de résidence habituelle commune des époux. À
défaut de résidence habituelle commune, la loi de leur nationalité commune
s’applique. En l’absence de nationalité commune, la loi du lieu de célébration
du mariage sera déterminante.
3.2. L’application du droit
chinois en l’absence d’un accord de choix de loi
À
défaut de convention sur le choix de la loi applicable, et conformément à
l’article 26 du règlement (UE) 2016/1103, le régime matrimonial sera régi par
le droit chinois si la République populaire de Chine est l’État de la première
résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage
Parmi
les différentes résidences habituelles communes que les époux pourraient avoir,
seule la première d’entre elles est pertinente à ces fins. Le considérant 49
définit cette première résidence comme celle qui suit immédiatement la
célébration du mariage.
Cette
exigence vise à assurer que la loi applicable au régime matrimonial soit
déterminée dès l’origine.
À défaut résidence habituelle commune des
époux après la célébration du mariage, la loi chinoise s’appliquera également
si, au moment de la célébration du mariage, les deux époux possèdent la
nationalité chinoise.
Et même si aucun des critères précédents
ne désigne la loi chinoise comme applicable, et même si les époux ont plus
d’une nationalité commune au moment de la célébration du mariage, la loi
chinoise sera applicable si les époux ont ensemble avec la République populaire
de Chine les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage,
compte tenu de toutes les circonstances.
Ces circonstances peuvent inclure des
facteurs d’ordre personnel, familial, professionnel, culturel ou religieux,
ainsi que la localisation des biens, le lieu de célébration du mariage, etc.
Dans le même objectif, il sera également
possible de prendre en considération d’autres points de connexion qui, bien
qu’ils ne remplissent pas les conditions de l’article 26 et ne déterminent donc
pas la loi applicable à titre principal, peuvent néanmoins constituer des
indices d’un lien étroit avec un État. Tel est le cas, par exemple, de la
résidence habituelle de chacun des époux, de leurs nationalités respectives ou
encore de l’existence d’une ou plusieurs nationalités communes.
En dernier lieu, en vertu de l’article 26,
la loi chinoise sera applicable, à titre d’exception et à la demande de l’un
des époux ou des partenaires d’union enregistrée, si le demandeur démontre que
ceux-ci ont eu, sur le territoire de la République populaire de Chine, leur
dernière résidence habituelle commune pendant une période significativement
longue —selon le règlement (UE) 2016/1103, une période significativement plus
longue que dans l’État de leur première résidence habituelle commune après la célébration
du mariage— et qu’ils s’étaient fondés sur la loi chinoise pour organiser ou
planifier leurs rapports patrimoniaux.
3.3. Le changement de la loi applicable dans les
règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104
Contrairement au principe traditionnel
d’immutabilité de la loi applicable, qui prévalait dans plusieurs systèmes
juridiques des États membres, y compris le droit espagnol, et à la règle de
l’automaticité du changement de loi applicable, telle qu’établie par la
Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, les
règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104 disposent que toute modification de la
loi applicable régime matrimonial et aux effets patrimoniaux des partenariats
enregistrés ne peut être introduite sans que les époux ou les partenaires en
soient informés. Aucun changement de la loi applicable ne devrait intervenir
sans demande expresse des parties. Cette exigence vise à garantir la sécurité
juridique et à éviter toute modification involontaire ou imprévue du régime
juridique régissant leurs relations patrimoniales.
Ainsi, conformément aux règlements (UE)
2016/1103 et 2016/1104, les époux ou futurs époux, ainsi que les membres ou
futurs membres d’un partenariat enregistré, peuvent, à tout moment, convenir de
modifier la loi applicable à leur régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux
de leur partenariat enregistré.
Toute modification de la loi applicable
doit être effectuée dans le respect des lois pouvant être choisies et en
conformité avec les exigences formelles ainsi que les conditions de validité
matérielle applicables aux conventions de choix de la loi.
En principe, selon l’article 22, paragraphe 2, des règlements (UE) 2016/1103 et
2016/1104, le changement de la loi applicable effectué en cours de mariage ou
de partenariat n’a d’effet que pour l’avenir.
Le changement de loi applicable entraîne
une succession dans le temps des normes matérielles régissant le régime
matrimonial et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.
La règle de l’efficacité ex nunc du changement de loi peut
toutefois être écartée si les parties en conviennent ainsi, conformément à
l’article 22, paragraphe 2. Toutefois, tout changement rétroactif de la loi
applicable ne peut porter atteinte aux droits des tiers résultant de la loi précédemment
applicable, conformément à l’article 22, paragraphe 3.
L’attribution d’un effet rétroactif au
changement de loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux
d’un partenariat enregistré, en particulier lorsque l’intervalle temporel
couvert par la rétroactivité est relativement long, peut intervenir alors que
des réformes ou modifications ont eu lieu entre-temps dans le nouvel ordre
juridique choisi. Se pose alors la question de savoir si la nouvelle loi
désignée doit s’appliquer dans la version en vigueur au moment de la conclusion
de l’accord de choix de loi ou dans celle en vigueur à la date à laquelle le
changement de loi applicable est rétroactivement rattaché.
Considérons le cas de deux ressortissants
chinois, ayant tous deux leur résidence habituelle en Espagne, où ils
contractent mariage en 2010 en adoptant d’un commun accord le régime de
séparation de biens. En 2022, les époux transfèrent leur résidence habituelle
aux Pays-Bas où, convaincus des avantages du régime de communauté prévu à titre
supplétif par le Code civil néerlandais, ils décident, quelque temps plus tard,
de modifier la loi applicable à leur régime matrimonial. De plus, ils entendent
conférer à ce changement un effet rétroactif à la date même de la célébration
de leur mariage.
Il s’agit d’un cas présentant des
implications transfrontalières résultant du changement de résidence habituelle
des époux, soumis au Règlement (UE) 2016/1103 conformément à la règle
transitoire prévue à l’article 69, paragraphe 3. En conséquence, le droit
néerlandais régira leur régime matrimonial depuis son origine, en 2010.
Il se trouve qu’à ce moment-là, le régime
légal supplétif aux Pays-Bas est celui de la communauté universelle de biens,
en vertu duquel, sous certaines exceptions, tous les biens et dettes des époux
étaient mis en commun, quelle que soit la date et le titre de leur acquisition
ou contraction. En revanche, au moment de l’accord sur le changement de la loi
applicable, le régime légal supplétif aux Pays-Bas est un régime de communauté
de biens limitée, qui concerne, de manière générale, les biens acquis à titre
onéreux pendant le mariage ainsi que les dettes y afférentes. Ce régime est en
vigueur depuis le 1ᵉʳ janvier 2018 pour les mariages contractés à compter de
cette date.
Cette réforme, introduite par la loi du 24
avril 2017 modifiant le Livre 1 du Code civil des Pays-Bas afin de limiter le
champ d’application de la communauté légale de biens, ne prévoit aucun effet
rétroactif. En conséquence, selon le principe de l’application des normes
juridiques dans le temps, et sous réserve que le droit néerlandais soit
applicable, les mariages célébrés avant le 1ᵉʳ janvier 2018, en l’absence de
convention contraire, restent soumis au régime matrimonial de communauté
universelle de biens.
Dans cette même logique, lorsqu’un cas tel que
celui envisagé ici se présente et que les époux conviennent d’un changement
rétroactif de la loi applicable à leur régime matrimonial, celle-ci s’applique
conformément aux dispositions en vigueur à la date retenue pour la
rétroactivité, et non à celle de la conclusion de l’accord du changement de la
loi applicable.
À défaut, la rétroactivité de la loi
applicable au régime matrimonial dépendrait exclusivement de la volonté des
époux et non d’une disposition législative, ce qui pourrait engendrer des
situations atypiques au regard de l’ordre juridique en vigueur. Une telle
situation serait contraire aux principes de prévisibilité et de sécurité
juridique qui constituent des fondements essentiels en la matière.
En tout état de cause, quelle que soit
l’étendue des effets rétroactifs du changement de loi, la protection des droits
des tiers résultant de la loi précédemment applicable déterminera, du moins en
ce qui les concerne, la pérennité de ce régime juridique dans le temps.
Les parties pourraient également convenir
de maintenir la succession temporelle des lois applicables, bien qu’avec une
portée temporelle distincte, en fixant la rétroactivité de ses effets à une
date plus proche dans le temps.
Quoi qu’il en soit, la date du changement
de loi avec effet rétroactif constituera le point de référence pour procéder,
le cas échéant et entre autres aspects, à la classification des biens de l’un
ou des deux époux ou partenaires en différentes catégories, à la détermination
de la responsabilité de chacun d’eux quant aux obligations et dettes de
l’autre, ainsi qu’à la définition des pouvoirs, droits et obligations de l’un
ou des deux époux ou partenaires à l’égard du patrimoine.
4. Les lois de police dans les
règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104
Conformément à l’article 30 des règlements
(UE) 2016/1103 et 2016/1104, leurs dispositions ne portent pas atteinte à
l’application des lois de police du juge saisi, lesquelles prévalent
indépendamment de la loi applicable au régime matrimonial ou aux effets
patrimoniaux du partenariat enregistré.
Les lois de police sont définies comme des
dispositions dont le respect est jugé crucial par un État membre pour la
sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique,
sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation
entrant dans les champs d’application des règlements, quelle que soit par
ailleurs la loi applicable au régime matrimonial ou aux effets patrimoniaux
d’un partenariat enregistré.
Le concept de lois de police englobe les
règles de nature impérative, telles que celles relatives à la protection du
logement familial. En tant qu’exception au principe d’unité de la loi
applicable, ce concept doit être interprété de manière stricte afin de rester
conforme aux objectifs généraux des règlements européens applicables. Ces
objectifs incluent notamment la libre circulation des personnes au sein de
l’Union, la possibilité pour les époux et les partenaires d’une union
enregistrée d’organiser leurs relations patrimoniales, tant entre eux que
vis-à-vis des tiers, durant leur vie commune ainsi qu’au moment de la
liquidation de leur patrimoine. Ces règlements visent également à renforcer la
prévisibilité et la sécurité juridique en la matière.
La référence aux normes de protection du
logement familial, telles que celles établies en droit civil commun espagnol
par l’article 1320 du Code civil, permet de considérer parmi les lois de police
de chaque ordre juridique les règles impératives du régime primaire. Ce régime
regroupe l’ensemble des normes que les droits nationaux établissent, de manière
générale, pour la réglementation des effets patrimoniaux du mariage et des
partenariats enregistrés.
Le champ d’application restreint des lois
de police, tel que défini par les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104,
permet de garantir l’application de la loi désignée par les règles de conflit
de lois, dès lors que cette loi assure une protection équivalente des intérêts
publics à celle de la loi du for, et ainsi de préserver l’unité de la loi
applicable.
5. La clause d’ordre public
Au-delà de l’autonomie de la volonté en
matière de conflits de lois, des critères objectifs de rattachement destinés à
la détermination de la loi applicable et des dispositions spéciales visant à la
protection de certains intérêts, le législateur européen, dans les règlements
relatifs aux questions de droit international privé, utilise également, bien
qu’à des degrés variables, certains mécanismes et techniques visant à orienter
les résultats auxquels ces règlements pourraient aboutir, tels que les clauses de
renvoi et l’exception d’ordre public.
Les règlements (UE) 2016/1103 et
2016/1104, à l’article 32, sous la rubrique « Exclusion du renvoi », disposent
que lorsque les règlements prescrivent l’application de la loi d’un État, il
entend les règles de droit en vigueur dans cet État, à l’exclusion de ses
règles de droit international privé.
Quant à l’exception d’ordre public, elle
constitue l’un des principaux mécanismes permettant d’assurer la sauvegarde des
principes et valeurs fondamentaux qui sous-tendent un ordre juridique
déterminé.
L’ordre public constitue un ensemble de
valeurs fondamentales qui inspirent un ordre juridique donné et remplissent une
fonction d’exclusion : il empêche qu’une norme étrangère contraire puisse
produire des effets juridiques et s’intégrer dans cet ordre.
Il convient de considérer que certains
ordres juridiques, dans le champ d’application des règlements (UE) 2016/1103 et
2016/1104, contiennent des dispositions manifestement contraires aux valeurs
constitutionnelles impératives des ordres juridiques des États membres de
l’Union européenne, en prévoyant un traitement différencié, voire une exclusion
totale, de la participation de certains de leurs membres à l’administration et
au partage du patrimoine commun en fonction du sexe.
Face à de telles dispositions, l’action
des autorités européennes, guidée en toute circonstance par la défense
rigoureuse des valeurs et principes fondamentaux de notre ordre juridique –
parmi lesquels figurent, en lien avec les cas mentionnés, l’élimination de
toute forme de discrimination fondée sur le sexe –, devra consister à en
exclure l’application.
Ainsi, en l’absence d’une disposition
explicite en ce sens, la question soulevée devra être résolue conformément aux
normes les plus appropriées de la législation étrangère désignée comme
applicable, en écartant uniquement les dispositions incompatibles avec notre
système de valeurs. Si une telle mise en conformité s’avérait impossible, il
conviendrait de statuer sur la base du droit interne, dans la mesure où, en
cette matière, la conception du législateur national doit, en tout état de
cause, prévaloir.
6. Conclusion
Les règlements (UE) 2016/1103 et 2016/1104
constituent une avancée fondamentale dans la création d’un espace européen de
liberté, de sécurité et de justice. Toutefois, la mobilité croissante des
citoyens rend également opportun que tant les ressortissants que les autorités
des États tiers prennent conscience de l’incidence de ces règlements lorsqu’il
s’agit d’aborder les questions relatives aux effets patrimoniaux des mariages
et des partenariats enregistrés.
Dans ce contexte, cet article a été rédigé
spécialement pour ceux qui, en République populaire de Chine, souhaitent mieux
comprendre le cadre réglementaire de ces questions au sein de l’Union
européenne et en offrir une première approche. Toutefois, en raison de la
complexité du sujet, il convient d’avertir que nouvelles lectures et études
complémentaires seront nécessaires, et peut-être l’occasion de nous retrouver à
nouveau.
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